L'Affaire Léon Sadorski

C’est sur la base d’une solide documentation, comme pour son grand succès “Monsieur le Commandant”, que Romain Slocombe reconstitue cette époque troublée de la 2e Guerre Mondiale. Il évoque autant l’ambiance générale, dans la population et dans les cercles où règne le soupçon paranoïaque envers des ennemis supposés, que les destins personnels.

Il n’oublie pas de rappeler que la quasi-totalité des industriels français misèrent d’abord sur la Cagoule, finançant sans compter ce groupe séditieux, avant d’opter sans états d’âme pour le nazisme. Ni de citer les politiciens et les intellectuels, qui s’engouffrèrent avec conviction dans le bourbier de la collaboration : Boussac, Deloncle, Céline, Doriot, et tous ces personnages haineux qui imaginaient être les nouveaux maîtres de la France, au côté des autorités hitlériennes. Fortune et politique, ambitions et pouvoir, ils ont profité de ces quelques années glauques. Peu d’entre eux ont été sanctionnés, par la suite.

Au centre du récit, Léon Sadorski. Ce policier représente toute l’ambiguïté de ceux qui ne faisaient partie ni des hautes sphères, ni de la population ordinaire. Il appartient à cette classe sociale qui servit de "courroie de transmission" dans la collaboration avec les nazis. Beaucoup d’entre eux prétendirent, plus tard, qu’ils obéissaient aux ordres. Que c’étaient leurs chefs qu’ils fallait incriminer, pas eux. Cette excuse commune est ici démentie par les faits. Bien sûr, les réseaux secrets étaient actifs, la Résistance s’organisait, et la pression menaçante des SS était forte : on exigeait des résultats. Mais, des gens tels que Sadorski sont animés par une férocité nationaliste perverse, loin du patriotisme qu’ils affichent.

Dans toutes les "périodes de crises", se réveillent des comportements abjects, permettant aux plus vindicatifs d’exacerber leur méchanceté naturelle, de désigner et d’accuser, de polémiquer sur tout et son contraire, de diviser le peuple pour favoriser les idéaux ultra-sécuritaires ou dictatoriaux. Peut-être que ce roman noir de Romain Slocombe nous met en garde contre certaines dérives extrémistes, ressemblant à celles d’autrefois.À méditer, c’est évident. Une illustration historique aussi intelligente que captivante.